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MOT DE LA COMMISSAIRE
Chloë Charce

Depuis quelques années, l’art actuel fait place à l’indiscipline : il s’affranchit des lieux institutionnels pour en explorer les écarts. L’art visite en effet les espaces entre, les interstices, dans le but de briser les frontières entre le fictif et le réel, le privé et le public, le statut de l’objet d’art et le spectateur. À la notion de lieu se substituent celles de sensibilité, de curiosité et de déplacement, ce qu’on pourrait autrement qualifier de lieu de passage, ou encore de « territoire sans lieu[1] ». En puisant à la fois dans l’héritage du monde matériel et les frontières de son « territoire imaginaire[2] », pour emprunter les mots de Guy Sioui Durand, l’artiste détourne les apparences en parcourant et s’appropriant des lieux transitoires, des univers éphémères devenant à leur tour des lieux de la mémoire, personnelle et/ou collective.

Et si « le territoire est lui-même un lieu de passage[3] », comme le prétend Gilles Deleuze, c’est dans un esprit de continuité et non de rupture avec les symposiums précédents que se situe la présente thématique. Celle-ci propose d’outrepasser la définition de territoire physique et géographique pour explorer une territorialité immatérielle, individuelle et intérieure, conjointement à la notion de non-lieu qui qualifie les dérives de l’art aujourd’hui. Ainsi, les distances longtemps parcourues par les explorateurs, ou encore les frontières matérielles des territoires du Nord et du Sud des Amériques, se transposent ici en des trajectoires formelles et idéologiques, des parcours individuels, parfois sinueux, parfois linéaires.

Les Lieux/Lieues du titre évoquent à la fois l’espace réel – c’est-à-dire le territoire physique (lieu) et la notion de distance géographique (lieue) – et l’espace imaginaire, les (non)lieux/lieues de l’art qui sont aussi ceux des artistes eux-mêmes, à travers des manifestations de leur propre singularité. Ainsi, je propose d’explorer cette notion élargie du territoire selon deux pôles : la rencontre, liée au déplacement, au mouvement, et la mémoire, synonyme de trace, d’empreinte, de temps. Les artistes choisis ont des pratiques liées soit au corps, à l’expérience et à l’immatériel, soit à la notion d’archéologie du présent, au quotidien et à une volonté d’expansion matérielle de l’espace privé. Certains flirtent avec la performance et l’intervention sonore, d’autres ont des préoccupations in situ, d’autres encore ont une approche sculpturale de l’objet usuel et de la quotidienneté. Les uns fabriquent des installations imposantes, alors que d’autres situent leur travail dans la finesse du détail et la subtilité du geste.

Le thème du Symposium visite les pôles, les tensions, les oppositions (féminin/masculin, finesse/rudesse, miniature/imposant, intérieur/extérieur, matériel/immatériel). S’ils et elles n’ont pas nécessairement une expérience hors-galeries, les artistes sélectionnés ont en revanche, pour certains, une pratique qui explore les nouvelles technologies – témoins de leur temps, d’une nouvelle génération artistique – rendant le défi de créer une œuvre en forêt d’autant plus riche de sens. En somme, les démarches des artistes invités suggèrent une certaine vulnérabilité, une fragilité de l’humain par rapport à son environnement, au monde qui l’entoure.

Chloë Charce
commissaire invitée


[1] Collectif, Identité territoriale, Alma, Langage Plus, 1994, p. 151.
[2] Guy Sioui Durand, « Le territoire imaginaire », dans Elisabeth Kaine (sous la dir.), En marge, catalogue d’événement, Québec, Le Sabord, 1999, n. p.
[3] Gilles Deleuze cité par Félix Guattari, Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989, p. 39.